ne plus rien devoir
Plus que les hommes, ma mère malmenait les femmes. Orphelin de mère, mon père a marié trois femmes dont l’ultime fut ma mère. Il dit n’avoir eu que deux filles : ma sœur et moi. Depuis des années c’est mon sexe de fille que je méprise. La mère de mon père, il l’a su plus tard, était prostituée, celle de ma mère faisait le poids avec ses cent dix kilos. Toutes les deux partageaient le même prénom dans des langues différentes : Augustine, Agustina.
Mon ambivalence pour les femmes me pousse à les admirer et à les dégueuler, à les envier et à les vouloir mortes. J’ai suivi à la lettre, sous peine de mort, les désirs de ma mère. Elle aurait aimé faire des études, je les ai faites, elle ne voulait pas d’enfants, je n’en ai point de vivant, elle dit ne pas pouvoir travailler beaucoup, je travaille peu (plus du tout depuis neuf mois), elle somatise, je déprime. Arrêtons-là le chapelet : trente deux ans de loyaux sévices, évanouissements, justifications mensongères. Ma peau brunit à vue d’œil, mon cœur de bagnarde se soulève, les cicatrices à mes poignets, mes chevilles, sur mon dos enflent et suintent à nouveau. Les sabots d’une armée de juments crépitent et font rugir la terre prête à être fécondée. Un soleil plus vieux va poindre. Regarde la poussière s’élever du sol frémissant, hume cette sécheresse insolente, je ne te dois plus RIEN.