mon père, ce mythomane
Le recours au mensonge m’a été un enseignement fécond. J’ai appris ça de mon père, très apprécié pour son recours à l’imbroglio, au raccourci, à la falsification. C’était le côté lumineux du mythomane que les gens aimaient, celui qui savait prélever certains éléments de sa réalité pour les transfigurer. Toute jeune, j’ai pratiqué le mensonge sous les formes suivantes : dissimulation, feinte, évitement, dérobade, sabotage. Cette activité débridée était contrebalancée par une gaucherie aiguë que je partageais en secret avec mon père. Nous cassions, trébuchions, abîmions à tour de bras. Nos corps, soumis à un étrange séisme, nous dérobaient l’accès aux objets et nous courbaient l’échine (nous abritons tous deux, à des degrés différents, une scoliose). Nos manquements nous ont contraints à des travaux forcés de rééducation. Depuis quelques années maintenant, nous nous retrouvons. Nous évoquons les fêlures, les entorses, pots cassés. Nous désherbons, creusons, plantons, ratissons et attendons la pousse. Parfois des semis entiers succombent, nous laissant hébétés. Lorsqu’ébahis nous récoltons fruits et légumes, nous nous félicitons de la justesse de nos champs d’expérimentation.
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